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 Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy)

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The Soul of the Night
Spes
dyder
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dyder




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Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) Empty
MessageSujet: Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy)   Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) EmptyMar 4 Nov - 18:09

Mon roman, premier chapitre (moins une partie dont je ne suis pas satisfait).

Merci de me dire si ça se lit agréablement, laborieusement ou...


Le garçon de trois ans dormait. Rien ne pouvait le soustraire du lourd sommeil qui le maintenait loin de la réalité. Ni le souvenir de ce qu’il avait provoqué. Ni le galop frénétique de la monture qui le ballotait sans discontinuer. Emmitouflé dans une cape, il n’était que poids mort pour la femme qui le soutenait sur son épaule.
Cette femme était connue sous plusieurs noms. Le dernier délivré par ses lèvres au moment des présentations était Serbandine.
Serbandine portait un long manteau. La capuche remontée ne laissait rien paraitre de son visage, n’étaient de longues boucles rousses préférant l’air frais à la protection de l’étoffe et un ovale d’ombres jetées par la lumière blafarde de la lune. Depuis trois jours, elle chevauchait à bride abattue, cadence infernale que seuls de courts repos entrecoupaient quand la monture l’exigeait, une jument alezane au galop leste.
Il s’en été fallu de peu que Serbandine ne grossisse le rang des indignés, des hommes traversés par l’effroi ou de leurs compagnes appelant réparation. Mais les révélations communiquées soudainement par sa vieille mère l’avaient positionnée du même côté des lames que l’enfant. Elle l’avait soustrait de justesse à la vindicte générale. Et lui sous son bras, ils s’étaient enfuis.
Chaque fois qu’elle parcourait une longue ligne droite, elle jetait des regards dans son dos, tentait de distinguer ses poursuivants. Elle les avait semés depuis longtemps mais avait refusé de l’admettre trop tôt. Une assurance prématurée aurait pu lui être fatale. Cette fois, pourtant, elle sut qu’ils ne les rattraperaient pas.
Les rênes tendues ralentirent l’allure de la jument. Une nouvelle fois, la femme scruta les étoiles, ajusta son chemin en fonction des repères piquetant les cieux. Car elle n’évoluait pas au gré des sentes battues par les sabots de sa monture. Serbandine se dirigeait vers un lieu bien précis. Et elle était sur le point de l’atteindre.
Les dernières lieues furent laborieuses. La jument, à bout de force progressait au pas, la robe couverte d’écume, la tête courbée et les naseaux dilatés. La femme rousse avait mis pied à terre et cheminait à ses côtés. Ses pieds la lançaient, tout comme son dos malmené par le poids de l’enfant. D’autant que depuis leur départ, celui-ci sursautait par intermittences, donnait parfois des coups brusques, coudes, pieds ou genoux, avant de s’apaiser à nouveau.
Le lendemain, en fin de journée, Serbandine distingua enfin les habitations. A distance, elle rompit son avancée d’une ultime halte. Déposant l’enfant dans une épaisse touffe de plantains, la cape callée sous son menton pour le protéger du froid, elle mena la jument vers un pâturage à l’herbe grasse qui s’étendait à proximité. Tout en la bouchonnant, elle lui chuchota de doux mots à l’oreille. Pour la remercier des efforts consentis, pour s’excuser aussi de l’avoir poussée à puiser dans ses ultimes forces.
Puis elle consacra les instants suivants à évaluer la situation. Elle devait faire vite. Les lourds nuages amoncelés dans le ciel sous la forme de grappes aux grains terne annonçaient une pluie imminente.
Quand elle jugea satisfaisante la manière dont elle comptait organiser le déroulement des prochains jours, elle se décida à gagner le village. Au préalable, elle se changea en trois mouvements. Après s’être débarrassée de la robe violette marquées d’accrocs et de tâches de boues crachées par des terrains détrempés, comme pour protester d’être piétinés, Serbandine fouilla dans son paquetage et opta pour une tenue de même qualité, blanche et rehaussée de broderies cousues de fil vert. Puis elle se nettoya le visage, puisant les ultimes rations d’eau contenue dans sa gourde. Enfin, elle stabilisa de nouveau le garçonnet contre elle, prenant soin de le dissimuler entièrement sous la cape, et s’avança vers les habitations, une main serrant la bride, l’autre en soutien sous l’enfant.
Elle avait rapidement avisé l’auberge vers laquelle ses pas la portaient. Le village était désert. L’orage sur le point de gronder consignait les villageois à demeure. Quelques enfants, pourtant, bravèrent les premières gouttes et vinrent à sa rencontre, la sollicitant de mille questions. Lorsque la pluie se mit à tomber, ils s’éparpillèrent, criant et riant à la fois. Excepté l’un d’entre eux. Un petit garçon blond s’obstinait à la suivre, l’objet de ses interrogations rapporté au gros paquet qui pesait sur son dos. A un moment, il fit mine de le tâter, une main prête à se glisser à l’intérieur. Mais la jeune femme l’éconduit gentiment et haussa le pas. L’enfant blond demeura un instant sur place, sans se soucier de l’averse qui martelait son visage, observant fixement la voyageuse qui progressait. Son apathie se brisa lorsqu’un appel retentit. Sa mère, sans doute, lui sommait de venir s’abriter.
Contre son dos, Serbandine réalisa que l’agitation du garçon avait diminué. Depuis leur arrivée au village, il semblait dormir paisiblement, sans soubresauts intempestifs. C’était la première fois.
Quand Serbandine pénétra dans l’auberge, des éclairs lacéraient le ciel.

****

Sa première rencontre avec les aubergistes tourna court. Le Relais aux Champignons affichait portes closes, si bien que le gîte et le couvert lui furent poliment refusés par le maîtres des lieux, un aubergiste d’une soixantaine d’années.
« Je m’appelle Fidelandre », se présenta-t-il. « Et voici Tarra, mon épouse. En d’autres temps, j’aurais achevé ma phrase par je vous souhaite la bienvenue dans mon établissement. Malheureusement, cela m’est impossible. » Il désigna l’échafaudage surmonté d’un treuil accoté sur l’un des murs puis les gravats empilés en tas à différents endroits. « Nous sommes en travaux, voyez-vous. ». A sa mine défaite, Serbandine comprit qu’il lui refusait la jouissance des lieux à contrecœur. « Mais je vais bien trouver un villageois pour vous accueillir cette nuit, ne vous en faites pas. »
Tarra saisit la bride de la jument. « A cause des travaux, nous n’avons pas de client, voyez-vous. Je vais en profiter pour l’installer dans la stalle la plus spacieuse et lui donner une belle ration d’avoine. » La Maîtresse-au-logis flatta l’encolure de la jument. « Elle semble avoir grand besoin de reprendre des forces. »
Tandis que Tarra et la jument s’éloignaient, Fidelandre adopta un pas pressé, à cause de la pluie, et conduisit Serbandine à l’autre bout du village. Le Maître-au-logis toqua à une porte qui pivota rapidement. Une femme se découpa dans l’encadrement et jeta un regard torve à Serbandine. Aussitôt, un homme apparut derrière elle et dépassa la femme. Après que Fidelandre eut expliqué la situation, le villageois servit à Serbandine son sourire le plus affable et l’invita à entrer dans sa demeure. Défaite, la femme du villageois adopta un port altier et s’en fut dans une pièce qu’elle cloisonna dans un claquement de porte sec.
« Excusez mon épouse, fit le villageois. » Il ouvrit une autre porte et fit la lumière dans la petite pièce à l’aide d’une lanterne qu’il déposa sur une table de nuit. « Voila une chambre de libre. Elle est à vous. »
Serbandine le remercia et expliqua sa fatigue pour s’enfermer, ce qui convint bien à l’aubergiste, pressé de s’en retourner à son auberge, moins à l’homme qui, semblait-il, aurait apprécié s’entretenir un instant avec elle.
Une fois seule, Serbandine déposa hâtivement l’enfant sur le lit et se massa l’épaule. Le cacher tout ce temps avait nécessité des efforts, elle avait été à deux doigts de craquer. Elle rassembla les couvertures pour creuser un lit à la taille du garçonnet et l’y installa confortablement. Puis elle se servit d’une autre couverture pour se faire son propre couchage, à même le sol.
Serbandine mit du temps à s’endormir et ni le tonnerre qui grondait sans discontinuer, ni la dureté du sol à peine adoucit par l’épaisseur de la couverture n’en furent la cause.

L’orage se répandit toute la nuit. Et même quand il cessa de crépiter, il ne s’avoua pas vaincu, réservant à la majeure partie de la matinée une bruine pénétrante.
C’était sous ce crachin glacé que Serbandine entreprit de faire le tour de Kelister, après avoir pris soin de prolonger le sommeil artificiel de l’enfant, laissé seul dans la maison.
Chaque porte s’ouvrit avec plaisir, les villageois semblaient heureux de pouvoir discuter avec une voyageuse venue de loin. C’était souvent le cas avec les clients de l’auberge, mais Fidelandre n’aimait qu’on vînt les importuner. Pourtant, les échanges tournèrent systématiquement court. Entre les villageois, pressés de fermer leur porte aux rafales de vent charriées par la grisaille pesante, et elle qui déclinait leurs invites chaleureuses à pénétrer les demeures, préférant s’en tenir au seuil, les conversations étaient naturellement écourtées. Ce qui ne la dérangeait pas, bien au contraire. Elle n’avait que très peu de temps à disposition.
Serbandine eut une seconde fois l’occasion de rencontrer les aubergistes. Et le court moment passé en leur compagnie se montra des plus instructifs. Seulement, ceux-ci n’avait pas rendu sa tâche aisée, occupés qu’ils étaient à cavaler d’une pièce à l’autre, ensevelir maçon et charpentier sous des directives à n’en plus finir, emprunter l’escalier dans les deux sens afin d’évaluer l’avancement à chaque étage. Mais, à force de questions préalablement choisies et de réponses aussi succinctes que révélatrices, elle en avait suffisamment appris pour se convaincre qu’il s’agissait des bonnes personnes.

****
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dyder




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Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) Empty
MessageSujet: Re: Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy)   Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) EmptyMar 4 Nov - 18:09

Le soir trouva Serbandine accroupie au cœur d’un épais fourré. La nuit était neuve mais le village, déjà, s’assoupissait. La femme rousse, dont la demeure grossissait le centre d’une vaste cité, ignorait cette rigueur inculquée comme une évidence, qui consistait à calquer le rythme de vie sur les seules exigences de la nature. Cadence du soleil, bon vouloir de la faune et revendications de la terre, l’ordre jaillissait tel un couvre-feu inaudible, et il ne viendrait à personne l’idée de s’y soustraire. D’un bout à l’autre du village, un même mouvement s’empara sans délai des demeures. D’abord l’agonie des lanternes soufflées tour à tour, puis les volets rabattus. Parfois, un dernier tour du propriétaire afin d’inspecter la solidité du fermoir de l’enclos à cochons.
Serbandine attendait patiemment, le paquet délicatement posé en travers de ses genoux sous bonne garde. Mises à part les exhalaisons entre gris et blanc qui s’élevaient de quelques cheminées, plus rien ne bougeait.
Elle aurait pu y aller, à présent. Seulement, des remords choisirent ce moment là pour la tarauder. Et si les informations que sa mère lui avait communiquées étaient erronées ? Et si finalement elle ne faisait que porter le mal sur d’autres gens ? Après tout, tant d’années avaient passé depuis que le secret se transmettait, de génération en génération. Les choses avaient peut-être changé. D’un autre côté, l’enfant dormait d’un sommeil paisible, tout contre elle, débarrassé de l’agitation qui l’avait parcouru pendant le voyage. Cela pouvait être vrai, alors. Et s’il s’agissait bien de ce village, ce serait cette auberge.
Enfin résolue, Serbandine ferma les paupières puis se concentra. Alors, les doigts portés à hauteur de visage dessinèrent des arabesques complexes. Un sort de dissimulation commença de tordre ses traits. Son nez fin s’allongea et se brisa, sa peau douce se creusa de rides profondes, ses cheveux roux bien coiffés devinrent des touffes rebelles brunes et rêches. Puis ses mains descendirent et opérèrent le long du corps. Dans leur mouvement de haut en bas, elles se posaient sur une silhouette fine et élégante, vêtue d’une toilette coupée dans une étoffe de qualité, puis laissaient dans leur sillage une allure sinueuse comme un pantin de bois mort recouvert d’une robe sombre vieille d’un siècle. Son dos se vouta, sa poitrine s’assécha, ses bras se tordirent, ses jambes s’arquèrent et ses ongles se fendirent en plusieurs endroits. Tout en évaluant le résultat final, elle se demanda d’abord si elle n’en avait pas trop fait, estima au bout du compte que cette silhouette saugrenue rendrait sa tâche plus aisée. Il fallait faire douter les aubergistes sur sa capacité à s’occuper d’un enfant d’à peine trois ans, pour commencer, mais aussi empêcher toute association entre sa véritable apparence et l’enfant. Jamais, jamais le garçon ne devait retrouver sa trace, moins encore celle de ses origines. Pour son bien à lui. Et pour celui de beaucoup d’autres, probablement.
Serbandine ramena le lourd ballot contre son sein et se redressa, vérifiant que personne ne l’observait. Puis elle émergea de son abri et gagna l’auberge d’un pas égal. A côté des demeures drapées dans les prémices du sommeil, le bâtiment jurait. Pas seulement au regard de son architecture, avec ce toit quadrillé de tuiles rouges plutôt que coiffé de chaume, ce rez-de-chaussée en roc et non en bois. Les fenêtres percées aux deux étages en encorbellement laissaient voir des ombres s’agiter, comme si dix voyageurs incapables de tenir en place y séjournaient. L’endroit, lien étroit entre le village et le monde extérieur, évoluait selon son propre rythme. Pour lui, l’appel de la nuit n’avait pas encore retenti. Sur le côté du bâtiment, une annexe en pierres fraichement taillées arborait fièrement trois cheminées tout aussi neuves. Les travaux s’achevaient, visiblement, comme l’attestaient l’échafaudage partiellement démonté ou les déblais rassemblés dans des sacs de toiles. Tant mieux, songea-t-elle. Le tour qu’elle comptait jouer exigeait des spectateurs attentifs.

****

Fidelandre ne se lassait pas de contempler sa cuisine flambant neuve. Planté au milieu de la pièce, il tournait et tournait encore sur lui-même, caressait de son regard le moindre recoin. Il restait encore à débarrasser la pièce des résidus abandonnés par les travaux, mais il disposait d’un aperçu prometteur.
Deux fourneaux reposaient chacun contre un mur, l’un puissant dont l’utilisation serait réservée aux rôtisseries et aux grillades, l’autre à potage, qu’il utiliserait pour les cuissons lentes ou les maintiens au chaud. Les murs constitués de pierres afin d’éviter tout risque d’incendie délimitaient la pièce et encadraient un long plan de travail. Un assortiment de casseroles en cuivre traçait sur l’un d’eux le profil d’un escalier renversé. Entre la salle des repas et la cuisine, une porte à battants inversés permettrait une circulation aisée, de sorte que les arrivants ne percutent jamais les sortants. Juste à côté de la porte, une ouverture précédée d’une desserte serait consacrée au passage des plats. C’était vraiment un travail impeccable. L’aubergiste trépignait d’impatience d’y déambuler. Les étages donnaient satisfaction, eux-aussi. Renouvellements des literies, rafraichissement des boiseries et rajeunissement du mobilier, Fidelandre et Tarra avaient opté pour une remise à neuf totale. Encore deux jours, peut-être trois, et le Relais Aux Champignons saurait de nouveau loger les voyageurs et satisfaire les appétits. Mais en des proportions qui assureraient à l’auberge une réputation prête à s’étendre loin alentours, conformément aux espoirs mis dans ce long chantier.
« Comment ça se passe là-haut ? », demanda Fidelandre à son épouse qui venait de le rejoindre.
Tarra écrasa du revers de la main les gouttes de sueur qui perlaient sur son front. « Aussi bien qu’ici, semble-t-il. Je ne te cache pas que j’ai hâte d’en voir le bout ». Un soupir confirma son impatience.
L’aubergiste hocha la tête et la prit par l’épaule, l’entrainant vers les fourneaux.
« Avec ces engins, si je rate une cuisson, c’est que je suis un âne. »
Tarra gratifia son mari d’un de ces sourires dont elle avait le secret. Fidelandre savait tout y lire. Fierté et admiration, d’abord. Mais aussi moquerie. Car si l’auberge constituait avant tout un lieu de travail pour la femme, l’homme, lui, bien qu’il refusât de l’admettre, y voyait un prolongement gigantesque des jouets de son enfance. A la seule différence qu’aucun autre ne pouvait le remplacer s’il devait finir par s’abimer.
Fidelandre parcouru une nouvelle fois la pièce du regard. « Tu te souviens d’Yrthos Grandhal, le potier rencontré à Lopinte ?
— Je me souviens surtout de ses phrases ronflantes. Même l’évènement le plus anodin justifiait à ses yeux une déclaration tirée par les cheveux.
— Eh bien justement. Ne te moque pas, mais je me retrouve dans ce qu’il avait dit, un jour, au sujet d’un grès exceptionnel qu’un seigneur lui avait demandé de façonner. Confronté à la plus noble et pure des matières, avait-il dit, tu lui dois de devenir chef-d’œuvre ou la céder aux doigts de quelqu’un d’autre si tu ne t’en sens pas capable. Ou quelque choses d’approchant.
— Et ton meilleur grès, c’est cette auberge ? demanda-t-elle avec un nouveau sourire mêlant des caractéristiques identiques au précédent.
— Comment en douter ? Regarde ce que l’on a fait des lieux, compare avec tes souvenirs, rappelle-toi comme les clients ont répondu à l’appel. Je n’arrive pas à être moins fier que je ne le suis et je me dis que j’ai toutes les raisons du monde pour cela. »
A leur arrivée à Kelister, l’auberge faisait peine à voir, effectivement. Avec ces murs défraichis, ce parquet jonché de détritus ou ce mobilier laissé à l’abandon, Fidelandre et son épouse ne manifestèrent que compréhension agacée devant les tables orphelines. La bourse proposée par Fidelandre pour l’achat du bâtiment avait été accueillie en deux temps. De la surprise, pour commencer. Puis des sourires radieux devant le sérieux indéfectibles des acheteurs. Sans demander leur reste ni attendre que les deux fous ne recouvrent leurs esprits puis ne reviennent sur cette tractation inespéré, les anciens propriétaires et nouveaux riches, un homme et son fils, étaient aussitôt partis pour une destination inconnue. A l’heure qu’il était, peut-être se vantaient-ils encore de l’affaire rondement menée.
Ils auraient eu tort, sans s’en douter. Car l’auberge valait dix fois, cent fois, le prix proposé. Car le choix des nouveaux Maîtres-au-logis était lié à un fait honteusement méconnu. D’apparence tout à fait anodine, le bois de Demser qui jouxtait le village constituait un véritable paradis pour un cuisinier ayant fait de la préparation des champignons une spécialité. Cèpes, bolets et chanterelles, morilles ou truffes, il suffisait de tendre la main pour en garnir de pleins paniers. En tout cas pour celui qui savait où les débusquer.
Quelques jours après leur arrivée, les nouveaux aubergistes avaient asséné un véritable coup de neuf à l’auberge. Un ménage de printemps mené deux semaines durant avait d’abord permis de distinguer, en lieu et place du bâtiment franchement inhospitalier, une auberge accueillante. Le mobilier avait été retapé, redressé ou simplement brulé quand il avait été jugé inutilisable ou trop abimé. Les murs extérieurs avaient brillé d’un nouvel éclat sous l’action de la chaux, le sol de la salle des repas avaient été aplani puis jonché d’une paille neuve. Puis c’avait été au tour du cellier d’arborer de nouvelles couleurs, les tons éclatants de nouvelles victuailles remplaçant la grisaille des moisissures. Et pour finir, une enseigne flambant neuve avait été fixée au-dessus de l’entrée principale. Après Le gibier enchanté, le Relais Aux Champignons trônait avec superbe à l’entrée de Kelister.
Et voila que l’auberge avait vu ses tables se garnir graduellement. La première réaction des villageois avait été timide, voire suspicieuse. Quels étaient donc ces étrangers et leurs leçons de savoir-vivre ? D’accord, l’auberge était infréquentable avant leur arrivée, mais au moins, leurs propriétaires se montraient de bonne compagnie. Le père avait même aidé le cousin de la belle-sœur du boulanger à étoffer son toit de chaume. Et le fils, en plus de se montrer un joueur adroit de Flanqueur, savait donner un coup de main aux champs quand le besoin était manifesté. Si tous admettaient à un moment ou un autre qu’en matière de cuisine, les deux se posaient là, personne n’aurait souhaité les voir déguerpir de la sorte et tendre les clés à des étrangers.
Rapidement, pourtant, les circonspections fermement dévoilées s’étaient éteintes. Ces étrangers-là étaient mieux que les autres. Il faut dire que l’auberge à l’enseigne rajeunie n’avait eu que du bon pour le village et même la région proche. Fidelandre et son épouse avait mené une scrupuleuse perquisition aux alentours, dans le but de déceler les meilleurs producteurs de denrées ; à Sustac le lait fournie par de plantureuses vaches, à Partison une charcuterie fondante, à Listerac des œufs gros comme des poires gorgées de soleil. Fidelandre avait donné une nouvelle vigueur aux échanges commerciaux dans les environs et compte-tenu du succès grandissant de l’auberge, générait des bénéfices dont personne ne se plaignait. Mais attention à ce que jamais la qualité des produits ne se gâte. L’aubergiste n’aurait aucun scrupule à remettre en cause ses partenariats puis faire jouer la concurrence. Peu importait le prix des denrées, il voulait le meilleur. Kelister n’était pas en reste. Menuisier, charpentier, agriculteurs, cultivateurs, cueilleurs, chasseurs ou tanneur, tous les corps de métier avaient vu les besoins en main-d’œuvre augmenter. Et la couleur des subsides générés n’avaient rien eu de repoussant. Oui, vraiment, ces étrangers n’avaient rien de communs avec les autres. Bon vent aux précédents propriétaires, après tout.
Après quelques années de travail et à force de fidéliser sa clientèle, Fidelandre avait voulu aller encore plus loin. Désormais, des vues sur la route marchande exhibant son débit en charrette, carrioles et caravanes à une dizaine de lieues au sud de Kelister occupaient ses pensées. Mais comment inciter les voyageurs à consentir un détour sinon en proposant des mets plus délicats encore et un cadre idéal ? Pour cela, il fallait de nouveaux ustensiles et un poste de travail adéquat. Disposant des fonds nécessaires, les aubergistes avaient entrepris une seconde salve de travaux. Menée depuis trois longues semaines, elle était sur le point d’aboutir. Le seul regret de Fidelandre tenait à la fermeture forcée de l’auberge. Retournant le problème dans tous les sens, il s’était rendu à l’évidence. Impossible de faire autrement. Et à bien observer la nouvelle disposition des lieux, il était certain que les clients éconduits comprendraient. A condition, bien sûr, qu’ils repassent par ici.
Quoi qu’il en soit, le Relais Aux Champignons venait de lui fournir tout ce dont un maître queux pouvait rêver ; une auberge propre et spacieuse, une cuisine digne des plus belles demeures seigneuriales et, là était le but de tout cela, une clientèle fournie, connaisseuse, fidèle et partageuse.
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MessageSujet: Re: Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy)   Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) EmptyMar 4 Nov - 18:11

Tout à ses pensées, l’aubergiste mit du temps avant de remarquer la porte qu’on tentait d’ouvrir. Il l’avait bloquée avec une chaise posée en travers et la main qui s’escrimait sur la poignée échouait à faire pivoter le battant qui ne répondait que par des soubresauts inachevés.
« L’auberge est fermée », lança Fidelandre comme le vacarme gagnait en intensité.
Les poussées cessèrent d’un seul coup. Fidelandre adressa une grimace à son épouse. « Un villageois somnambule, je vais lui montrer ce qu’il en coute de maltraiter ma poignée de porte neuve. »
Tarra énonça la seconde possibilité avec une nonchalance étudiée. « C’est peut-être un voyageur égaré. »
— Ah !», s’exclama le Maître-aux-fourneaux. « Ne parle pas de malheur. Ce serait la dixième fois au moins qu’il me faudrait éconduire un client et mon cœur va se briser pour de bon à force de se fendre.
— Va voir au lieu de dire des âneries. Pendant ce temps, je vais terminer là-haut ce qui peut l’être et mémoriser ce qui devra attendre le nouveau jour. »
Tandis que Tarra gravissait l’escalier principal, son mari choisit une fenêtre pour y glisser la tête et jeter un œil sur le visiteur tardif. Il n’avait pas fait trois pas que la porte subit un nouvel assaut. Cette fois, c’était des coups d’épaules qu’on donnait, pas possible autrement. Si bien qu’à force, l’obstacle constitué par la chaise fut éjecté et roula sur le sol.
« Oh, oh, oh ! » s’écria l’aubergiste en se précipitant à la rencontre de l’intrus malpoli et dur de la feuille. « Doucement ! »
La porte s’entrouvrit et un visage improbable se glissa dans l’entrebâillement. Une vieille femme rongée par les rides et vêtues de nippes lui adressa un sourire mielleux. Elle semblait peiner sous le poids de son paquetage.
« L’auberge est fermée », répéta l’aubergiste. « Vous n’avez pas entendu ?
— Ah… C’est bien ce qu’il m’avait semblé. Mais j’ai quand même voulu m’en assurer. Sinon, bonsoir, quand même.
— Bonsoir, oui. Pardonnez-moi, c’est juste que j’aurais préféré que vous en restiez à votre première intuition », fit l’aubergiste en ramassant la chaise malmenée. « Je confirme, le Relais est en travaux. Je n’ai ni chambre à disposition ni cuisine pour le moment. »
La femme entra un peu plus.
« Je vois ça », fit-elle, jetant un regard circulaire sur la salle des repas. « Un sacré bazar, ma foi.
— Tout le problème avec les travaux.
— Sans doute » Son visage afficha une moue dubitative. « Est-ce mieux qu’auparavant ? Comprenez qu’avec tout ce désordre, il est difficile de se rendre compte de la qualité du résultat.
— Désolé si les lieux ne vous agréent point. Et raison de plus pour rebrousser chemin.
— Jolie rime pour un accueil indélicat. » Elle dressa l’index comme on sermonne un enfant. « Permettez-moi de vous dire, jeune homme, qu’avec une telle attitude, je n’aurai aucun scrupule à déconseiller cet établissement à tous mes proches. Les actuels comme les futurs. Et s’il le faut, je déterrerai de vieilles relations pour leur faire la même recommandation. »
L’étonnement amusé qui figea l’aubergiste ne dura qu’un court instant. « Vous m’en voyez totalement attristé », répondit-il.
— Donc, c’est fermé.
— C’est bien ce que j’ai dit.
— Entièrement ?
— De fond en comble, du sous-sol au grenier, du mur ouest au mur est. L’énumération suffit-elle ? »
Pourtant, la femme choisit ce moment pour passer définitivement la porte. « Et au voyageur éreinté qui veut reposer ses os transis de froid, que lui conseillez-vous ?
— S’il n’a d’autre alternative que faire halte à Kelister, je pourrais solliciter un villageois disposant d’une chambre libre. J’ai bien une idée en tête, d’ailleurs. Mais j’avertirai au préalable le voyageur. L’idée en question déborde de susceptibilité et il faudra employer avec lui le meilleur ton possible.
— Ce serait une solution, effectivement. C’est tout de même dommage d’avoir si grande auberge et d’évincer les arrivants.
— Je le confesse et n’agit pas ainsi de gaieté de cœur. Ma seule consolation est de me dire que les clients éconduits me reviendront au centuple très bientôt.
— C’est bien de considérer les choses sous cet angle. Votre avenir est placé sous bonne garde. Mais qu’en est-il de ma nuit ?
— Je vais m’en occuper, vous ai-je dit.
Une moue dubitative tordit les traits de la femme. « Soit. Avant cela, permettez que je repose mes articulations un instant ? » Sans attendre l’autorisation, elle s’introduit complètement dans l’auberge avant de s’asseoir sur la chaise qui avait assuré la fermeture de la salle.
L’observant défaire le paquet posé sur ses genoux, Fidelandre fit un pas vers elle. « Ce serait dommage de vous mettre déjà à l’aise alors qu’il vous faudra tantôt tout remballer. Attendez plutôt que je vous conduise chez l’ami en question. »
Comme Fidelandre s’approchait, la femme se fendit d’un sourire compatissant, assez désagréable d’ailleurs, et dévoila le contenu du paquet. C’était un petit garçon. Au moins trois ans se dit l’aubergiste. Il dormait à poings fermés. A sa vue, l’aubergiste hésita. « C’est votre enfant ? » demanda-t-il sur le ton de celui qui ne pouvait concevoir qu’on lui répondre par l’affirmative.
« Oh non, quelle idée ! Les geignards, j’ai déjà donné. C’est le marmot d’une amie. Elle est très malade et m’a chargée, en échange de quelques pièces, de le porter chez sa tante. »
Tarra descendait au même instant les escaliers. Avisant la vieille femme et l’enfant, elle adressa un signe de tête poli à l’inconnue puis jeta un œil interrogateur à son mari.
« Bonjour madame », lança la vieille femme, précédant Fidelandre. « Votre mari m’affirmait à l’instant qu’il ne pouvait nous loger ni même nous proposer de quoi nous alimenter. » La femme fit une caresse lente sur la joue de l’enfant.
Cela ne tarda pas, le garçon ouvrit un œil. Puis l’autre. Il parcourut la grande pièce des yeux et son regard se posa en direction de l’aubergiste, provoquant chez ce dernier une sensation intrigante. Le garçon semblait l’observer, indéniablement, mais Fidelandre aurait juré que ses yeux se fixaient au-delà. Comme si l’homme aux épaules larges comme un seuil de porte laissait passer la lumière.
« Comment t’appelles-tu, bonhomme ? » lui demanda-t-il.
L’enfant desserra bien les dents mais le seul son qui jaillit de sa bouche fut celui d’un bâillement à s’en décrocher la mâchoire.
Tarra donna un coup de coude à son mari. « Il y a du lard dans la cuisine. Et un reste de terrine. Porte-leur. »
L’aubergiste s’exécuta.
« C’est bien aimable à vous » déclara la femme.
— Ce n’est pas grand-chose, les restes de notre repas, mais c’est toujours ça.
— J’espère que le gamin saura s’en contenter. Il est difficile, le bougre. »
Fidelandre revint avec un plateau chargé de victuailles. L’enfant s’assit sur les genoux de la femme puis goûta à la nourriture qu’on lui présentait. Après un temps d’incertitude, celui que prend un chat à qui un inconnu propose un aliment, il mangea avec appétit.
« Cela te plait ? » demanda Tarra avec un sourire attendri.
Pas de bâillement, cette fois-ci, mais un silence entier. L’enfant ne posa même pas un œil vers celle qui s’était adressée à lui, investissant toute sa concentration sur le large morceau de lard séché qui l’occupait. D’un seul claquement de mâchoire, il le sectionna et entreprit de le mâcher consciencieusement.
La vieille femme, observant attentivement la scène, lui arracha des mains la pièce de viande et engloutit un morceau qu’elle avala tout rond. « C’est vrai quoi » se justifia-t-elle sous le regard réprobateur des aubergistes. « Il n’est pas seul à crier famine.
— Alors bonhomme » fit Fidelandre en tranchant un morceau de terrine qu’il tendit à l’enfant. « Vas-tu me dire ton nom ? »
— Il ne parle pas » intervint la femme âgée. « Enfin il ne parle plus. Ce n’est pas pour me déranger, remarquez. Déjà qu’il faut que je me trimballe ce poids, si en plus il se mettait à pleurnicher… Ca n’arrête pas d’ouvrir son clapet, les gosses, hein ? Vous avez des enfants, vous autres ?
— Non, fit sèchement Tarra.
— Ah, vous n’aimez pas ça. Pour tout vous dire », ajouta-t-elle sur un ton complice, « je vous comprends. Moi non plus.
— Ça n’a rien à voir ! C’est juste que la nature ne nous a pas octroyé ce privilège.
— Ah, la nature ! » s’exclama la femme en joignant ses mains et lançant un regard désabusé au plafond. « Cette belle manipulatrice aux dessins injustes ! Moi, j’aime pas les mouflets, je vous le dis sans détours. Et pourtant, cela n’a pas empêché mon défunt mari de m’en coller une demi-douzaine dans les bras. Bon, passées les jeunes années aux odeurs douteuses et aux bruits fâcheux, j’ai finit par moins me plaindre. Surtout quand je les ai mis au labeur sitôt qu’ils savaient se tenir debout et comprendre ce qu’on leur disait. » La femme fit une pause et observa l’enfant avec agacement. « Il s’appelle Ronin », annonça-t-elle. » Les yeux de la femme s’illuminèrent comme sous le coup d’une compréhension soudaine. « Un nom étrange, vous ne trouvez pas ?
— La plus étrange des deux, c’est vous », s’emporta Tarra. « Cet enfant n’a pas l’air au mieux et tout ce que vous trouvez à dire ou à faire, c’est lui ôter la viande de la bouche puis critiquer ouvertement son nom !
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dyder




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Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) Empty
MessageSujet: Re: Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy)   Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) EmptyMar 4 Nov - 18:11

— Modérément, madame, je vous prie. Pour qui me prenez-vous avec vos insinuations ? Le nom est étrange et puis c’est tout. De toute façon, il ne comprend pas ce que je dis. »
Tarra observa l’enfant qui, effectivement, se désintéressait de la conversation qui envahissait la salle des repas. Les adultes autour de lui auraient pu évoquer la sècheresse de l’été dernier, la grosseur suspecte du blé ou la manière de tailler un soc efficace, il aurait manifesté une absence similaire
— Ce n’est pas une raison », rétorqua Tarra.
— D’où venez-vous ainsi ? », demanda Fidelandre après avoir jeté un regard apaisant à son épouse.
« Mmmmh ? Oh, de l’est. » Elle indiqua de la main une vague direction à l’aubergiste.
« Mais encore ? »
La femme se dandina sur sa chaise. « Et après vous allez me demander où je me rends, c’est ainsi que cela doivent se dérouler les choses, n’est-ce pas ? ». Elle tordit tant la bouche que Fidelandre se demanda si les lèvres sauraient regagner leur place d’origine, après. « Je ne voudrais pas me montrer ingrate mais, en général, quand un Maître-aux-fourneaux souhaite faire la discussion avec ses hôtes, il les installe au préalable devant un bon plat chaud. Pour l’heure, ce n’est pas le cas. Alors pardonnez-moi si je vous trouve bien curieux, jeune homme. »
Fidelandre s’empourpra net. N’eût été l’enfant paisiblement installé sur les genoux de la vieille femme, il l’aurait jetée dehors sans hésitation.
Il allait lui renvoyer une répartie cinglante quand elle reprit. « Où que j’aille, j’espère bien que le garçon résistera au voyage. Un complément sonnant et trébuchant m’attend à destination, vous comprenez. C’est qu’il s’est bien affaibli depuis notre départ. Remarquez, si toutes les auberges que nous croisons n’affichent pas porte close pour cause de travaux, il devrait avoir l’occasion de se reposer un peu et gagner quelque force.
— Ecoutez, madame », fit Fidelandre. « Madame ?
— Très bien, oui. C’est que ça fait bien longtemps que l’on ne m’a pas appelée ainsi et… »
— Bref » la coupa-t-il comme le boucher brise un os avec son hachoir. « Je vais vous conduire chez Pal’Blar, avant que mon esprit ne s’échauffe définitivement. L’un de ses fils s’est absenté, l’homme vous prêtera le lit vacant. Et demain, je demanderai au Maître-aux-herbes d’examiner le petit.
— Je ne pense pas que cela change grand-chose. J’ai moi-même quelques herbes à disposition et… » Elle fouilla son paquetage puis exhiba une petite bourse en tissu. « Ça, par exemple, il parait que c’est très bon pour soigner la bile noire. J’avoue que, pour l’instant, ça n’a pas produit de miracle, mais… »
Fidelandre profita de ce que le garçon venait de terminer sa bouchée pour le recueillir avec autorité dans ses bras. Ronin ne manifesta aucun désaccord, se contentant d’agripper la manche de l’aubergiste pour assurer son équilibre. « Demain sera plus propice à ce genre de décision. Vous voulez bien me suivre, à présent ?
— Puisque tels sont vos désirs » fit-elle en insistant bien sur le dernier mot. « Si cela ne vous dérange point, juste avant, pourriez-vous m’indiquer où trouver les commodités ? Non que ça m’embête de faire dans les buissons, mais vu que je suis dans une auberge soucieuse de rivaliser avec ce qui se fait de mieux, autant en profiter. A moins que des travaux…
— Il faut passer par dehors » la coupa Tarra. « L’appentis, à droite.
— Merci bien. Dehors, appentis, droite. Ou quelque chose dans ce goût là. Je trouverai bien. Je vous confie l’enfant un instant. Veillez à ce qu’il ne s’échappe pas, ajouta-t-elle avec un sourire mi-figue, mi-raisin.
La femme s’éclipsa. Fidelandre et Tarra échangèrent un regard à la fois outré et interrogateur. « Que peut bien faire cette vieille chose avec un si jeune enfant mal portant ? » chuchota l’aubergiste. « C’est à croire qu’elle est totalement inconsciente.
— Ou qu’elle se moque royalement du garçon. »
Fidelandre plongea son regard dans les yeux noirs de l’enfant et lui adressa un immense sourire. « Alors, mon petit bonhomme, c’est vrai que tu ne comprends pas ce que l’on dit ? »
Celui-ci bailla aux corneilles. Ses paupières s’alourdissaient à vue d’œil et il ne fit pas même mine de lutter. Il logea la tête au creux du cou de Fidelandre. L’homme apprécia le contact et répondit à la sollicitation en raffermissant sa prise. Plusieurs minutes passèrent et la femme ne reparut pas. Ronin dormait profondément dans les bras de l’aubergiste qui faisait les cents pas pour le bercer, dans une démarche maladroite, hésitant sur le rythme à adopter. Tarra gratifia l’homme d’un sourire encourageant, même si elle ne pouvait s’empêcher par moments de sourire face à son mari, tant mal à l’aise que séduit par son rôle.
« Que fait-elle ? » intervint l’aubergiste. « Elle s’est perdue ou quoi ? »
Le couple patienta encore une même longueur de temps puis Fidelandre sortit constater ce que l’étrange voyageuse tramait. Devant la porte des toilettes, il tendit l’oreille, n’appréciant guère l’embarras de la situation. Aucun bruit. Puis il se décida à frapper à la porte. Personne ne répondit. Il poussa à peine le battant, prévenant à voix haute la femme de cette incursion dont il se serait bien passé, puis l’ouvrit franchement. Vide. Fidelandre s’étonna et fit le tour de l’auberge voir si la femme ne s’était pas trompé d’endroit. Bredouille de la moindre rencontre, il revint près de sa femme.
« Alors ?
— Disparue.
— Allons-bon. Passe-moi l’enfant et va faire le tour du village. Cette vieille chouette n’y voit pas à deux pas. Si ça se trouve, elle se soulage dans le potager de Juliste. »
L’aubergiste allait s’exécuter quand un bruit se fit entendre dehors. « Ah !» s’exclama-t-il. « Tout de même. »
Il passa de nouveau à l’extérieur, mais au lieu de la vieille femme, il aperçut la jeune rousse avec laquelle il avait échangé quelques mots, plus tôt dans la journée. Elle finissait de sangler la selle de sa jument, visiblement sur le point de s’éclipser.
« Pardon, ma Dame » l’interpella l’aubergiste. « Auriez-vous aperçu une femme assez âgée ? »
— Non, désolée. » Elle observa Ronin et marqua un temps d’arrêt. « C’est votre enfant ?
— Comment ? Euh non, pas du tout. Il était avec la femme que je cherche, justement. »
La fille rousse s’approcha de Fidelandre et tendit une main vers le visage de l’enfant, profondément assoupi. Elle hésita puis caressa doucement la joue ronde, offerte. Ronin frémit soudainement et la main aux doigts fins rebroussa chemin. « Il est vraiment adorable » affirma-t-elle. « N’est-ce pas ?
— Oui » concéda l’aubergiste.
« Bien. Je dois vous abandonner. Le villageois qui m’a accueillie dormait, je n’ai pas voulu le réveiller. Pourrez-vous lui adresser mes remerciements pour son accueil et le prévenir de mon départ ?
— Partir alors que la nuit est déjà bien installée ? Les chemins alentours sont relativement sûrs, mais je n’aurai pas une confiance identique sur les routes qui les prolongent au sortir des Prés Verts.
— Ne vous en faites pas pour moi, j’ai l’habitude de chevaucher par tous temps. Et toutes luminosités. Et je sais me garder des mauvaises rencontres. Vous n’oublierez pas de faire la commission ?
— C’est entendu. S’il vous prend de repasser par ici, mon auberge sera cette fois en mesure de vous faire honneur, ma Dame. »
La femme adressa un sourire reconnaissant à l’aubergiste, posa un nouveau regard attendri sur l’enfant puis monta d’un mouvement vif en selle. Un dernier signe de la main et la voila qui quittait le village. Fidelandre l’observa s’éloigner, cherchant un instant la raison pour laquelle elle avait fait halte au village avant de le quitter ainsi, en pleine nuit.
Il secoua la tête. Pour l’heure, un autre souci plus important le préoccupait. Après s’être engouffré dans l’auberge, il confia pour de bon l’enfant à Tarra et entreprit d’arpenter le village, bien décidé à retrouver la vieille femme.

****

La jument progressait d’un pas lent, comme si elle aussi laissait une partie d’elle-même derrière elle. Serbandine laissait les larmes s’écouler sur ses joues, hésiter sur son menton puis plonger vers le sol. Refusant de jeter un dernier regard derrière elle, elle répétait inlassablement, en son for intérieur le même souhait. Comme une prière désespérée. Pourvu que les aubergistes le gardent avec eux.
Quand l’enfant sortirait définitivement de son sommeil artificiel, le sort mémoriel aurait fait son œuvre. Et Ronin aurait oublié tous ses souvenirs d’avant Kelister. Au moins pourrait-il vivre convenablement, sans avoir conscience du terrible drame dont il était responsable.

****

Fidelandre avait longtemps sillonné le village. Finalement, il était entendu que la vieille femme s’était volontairement éclipsée, qu’elle s’était arrêtée au village pour se débarrasser de l’enfant. Pourquoi ? Il l’ignorait. Mais la question plus délicate se rapportait à l’objet de l’abandon. Qu’allaient-ils faire?
Tarra et lui échangèrent un long regard. D’intensité similaire, chacun tirait des conclusions divergentes. Gardons-le, disait en silence la femme. Quelqu’un, un jour, viendra le chercher, opposait l’aubergiste.
Tarra se rendit dans la chambre du couple et plongea l’enfant dans l’épaisseur du lit. Elle l’observa longtemps. Ce ventre qui se soulevait sereinement, ces lèvres entrouvertes par le cours filet de ses expirations, cette jeune vie pleine de promesses la troublaient. Elle l’aimait déjà cet enfant. Fidelandre se posta à ses côtés, et dans un silence conservé, éprouva la même sensation.
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Spes




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MessageSujet: Re: Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy)   Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) EmptyDim 9 Nov - 13:53

Un petit bout de lecture et je relève quelques lourdeurs..

Le garçon de trois ans > Pourquoi "le" ?
le soustraire du lourd sommeil > "au lourd sommeil" plutôt
Les deux phrases qui commencent pas Ni sont un peu curieuses, je les aurait placées comme ceci : Rien ne pouvait le soustraire du lourd sommeil qui le maintenait loin de la réalité, ni le souvenir de ce qu’il avait provoqué, ni le galop frénétique de la monture qui le ballotait sans discontinuer.
Serbandine.
Serbandine
> Pourquoi ne pas mettre "Elle", afin d'éviter cette répétition ?
La capuche remontée ne laissait rien paraitre de son visage, n’étaient de longues boucles rousses > ", si ce n'est de longues..." ?
les révélations communiquées soudainement par sa vieille mère > C'est flou, mieux vaudrait expliciter ou en parler plus tard plutôt que de faire un flash
l’avaient positionnée du même côté des lames que l’enfant > Maladroit à mon avis
Chaque fois qu’elle parcourait une longue ligne droite > Peut-être le formuler autrement ?

Je m'arrête ici pour le moment, sauf si tu souhaites que je continue... Je tiens à préciser qu'il ne s'agit bien sûr que de mon avis, tu peux en faire ce que tu veux =]
Au passage quand même, j'ai aimé ce rapide plongeon dans l'action, et l'absence de coquilles
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The Soul of the Night

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MessageSujet: Re: Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy)   Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) EmptyVen 14 Nov - 19:39

De mon point de vue, très bien, bien que je sois d'accord : quelque peu maladroits à des endroits, et on ne rêve peut-être pas assez, ou on ne réfléchi pas ^^
Mais c'est super quand même, continu!!
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dyder




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MessageSujet: Re: Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy)   Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) EmptyMer 19 Nov - 23:23

Merci pour vos remarques que je vais prendre en compte.
Vous n'avez pas lu jusqu'au bout, non ?
ça m'intéresserait un avis général sur l'ensemble (avec les dialogues)
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Niten

Niten


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MessageSujet: Re: Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy)   Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) EmptyDim 30 Nov - 13:56

J'ai lu en entier et j'ai bien aimé. Le début est long et ne donne pas forcément envie de lire la suite mais a partir du moment où la fille prend la décision de laisser le gamin dans l'auberge, l'action commence enfin et on reste scotché. Question écriture, tu fais parfois des phrases beaucoup trop longues ( moi aussi d'ailleurs...), quelques lourdeurs mais sinon rien a dire. J'ai pris du plaisir a te lire et je t'encourage a continuer. Tu as bien laissé planer le mystère sur qui est cet enfant et cette femme et ca donne envie de connaitre la suite. Bien joué.
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MessageSujet: Re: Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy)   Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) EmptyMer 15 Avr - 22:16

J'ai bien aimé les dialogues, bien écrits. Amon humble avis le début devrait être plus succin et plus général, quitte à raconter plus tard des moments passés ayant des conséquences directes sur les choix et les actions de tes personnages. Ce que nous disons peut te paraitre très abstrait mais bon courage et continu!!
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astréa




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MessageSujet: Re: Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy)   Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) EmptyLun 5 Avr - 16:43

je n'ai lu que le premier de tes posts, mais j'aime beaucoup le début, on entre directement dans l'action! je reviendrai lire la suite plus tard^^
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Allys138

Allys138


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MessageSujet: Re: Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy)   Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) EmptySam 23 Juil - 0:20

C'est bien écrit, l'histoire est sympa et il y a un bon suspens.
Si un jour ce livre serat publier, compte sur moi pour l'acheter Wink
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MessageSujet: Re: Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy)   Le cénacle du grand-oeuvre (roman de fantasy) Empty

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