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 Les chroniques d'Illowë

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MessageSujet: Les chroniques d'Illowë   Les chroniques d'Illowë EmptyMer 7 Mai - 20:23


Salut tout le monde Smile)) Je suis nouvelle sur le forum et j'ai fouillé un peu tout les sujets ! C'est bien de voir tout les écrits partagés ! Pour ma part, j'écris depuis à peu près une quinzaine d'années. Je viens tout juste de terminer mon roman d'aventure/fantasy intitulé Les chroniques d'Illowë et j'attends une réponse de plusieurs éditeurs. Mais, bref. Même si on est convaincu que nos oeuvres méritent d'être publiées, avouons que ce milieu est assez cruel ; surtout pour les auteurs de SFFF. Alors j'ai décidé de vous partager à mon tour mon roman, du moins le début, juste pour le plaisir !

Bonne lecture et au plaisir(:

Sarah


Prologue

Cette histoire n’est pas une légende. Elle prend sa source dans les annales d’une cité aujourd’hui oubliée. Une cité façonnée dans une pierre étrange, lumineuse et froide comme la Lune, mais lisse et pure comme l’opale bleutée. Darcos fut le nom que ses nombreux colons lui attribuèrent. Ils la bâtirent de leurs propres mains, au plus profond des terres glaciales du Yavork, loin de leur contrée d’origine, le Morrythanïs. En ce nouveau lieu, désert et inhospitalier, ils oublièrent les principes de leur sang. Par la voix d’un seul homme, ils devinrent plus puissants que les barbares de l’Édréï, plus impitoyables que ceux de Dorménak et plus ambitieux que ceux de Darrèn. Car la voix d’un seul homme, s’il parvient à se faire entendre, détient le pouvoir d’ébranler toute une nation.

L’an 800 déployait alors son ombre sur le continent d’Illowë. Chaque peuple, chaque race, pénétrait cette ère nouvelle, dans l’impuissante communion du temps qui passe. Le chef Galion de Darcos lui-même menaçait de rejoindre le cortège de la mort, rongé par une lèpre que nul parmi l’élite de ses guérisseurs ne pouvait soigner. Contre toute attente, il se détermina à léguer sa couronne au seul être qui trouvait grâce à ses yeux : sa sœur, Vanika. Il défia ainsi la loi darconienne contre l’autorité de la femme, aux dépens de son neveu Gaïlen, le fils de Vanika. Sa décision souleva une controverse générale assez brève ; si le peuple redoutait de voir le royaume entrer dans une ère de fragilité politique, il refusait tout autant de se placer sous l’autorité d’un être aussi instable que Gaïlen.

Les annales racontent que le jeune garçon était porteur d’une tare unique et mystérieuse. D’aucuns accusaient un état de démence instable, sans doute provoqué par une lèpre latente, contractée au contact de son oncle. D’autres avançaient la cause d’une malédiction divine, destinée à exposer au grand jour les péchés cachés de la royauté. Pourtant, même l’influence du temps ne parvint à rompre le sceau de ce mystère. Si bien que seule la protection de sa mère permit au jeune Gaïlen d’échapper au bûcher.

Au fil des semaines, puis des mois, les crises du garçon s’intensifièrent. L’un des guérisseurs avança la théorie de l’influence des ténèbres sur l’apparition de ses crises imprévisibles. Son approche fut confirmée en temps de nuits et d’orages, là où le jeune Gaïlen sombrait, systématiquement, dans une indomptable folie. Puis, advint la nuit où Galion succomba à sa maladie. Alors que le deuil se répandait à l’intérieur du royaume, le garçon se laissa dompter par l’une de ses crises. Il commit le premier meurtre qui devait établir l’ampleur de sa menace. Sa mère, Vanika, fit usage de sa nouvelle autorité pour épargner à son fils le sort de la basse-fosse. Elle l’isola dans l’aile est du château, l’endroit le plus exposé à la lumière du jour, dans l’espoir que les rayons solaires le purgeraient de son mal. Un traitement proche de la torture pour le jeune Gaïlen, dont les cris hantaient les esprits des soldats affectés à ses soins.

Pourtant, le fardeau infligé à ces gens ne représentait rien, comparé à celui dont souffrait Enara, la sœur jumelle de Gaïlen. L’un des parchemins, bien que défraichi par le temps, mentionne un lien des plus éprouvant entre les deux enfants. Contrairement au garçon, l’esprit de la fillette habitait une pureté saine, de sorte que chacune des crises du premier engageait chez la seconde un duel intérieur. Parfois, lorsque l’esprit de sa sœur l’emportait, le jeune Gaïlen se repliait dans un sommeil profond de plusieurs jours. Mais de ces luttes, Enara en ressortait fiévreuse et épuisée. Les annales n’offrent, hélas, que très peu de détails sur cette période de l’Histoire ! Il est impossible de confirmer la durée ou l’efficacité du traitement purificateur de Vanika, au même titre que les efforts déployés par sa fille, Enara.

Dans la complicité de ce secret, l’encre et la plume stagnèrent et accomplirent un bond temporel de plusieurs années. Enara, devenue une jeune femme à l’image de sa mère, soignait désormais son éducation auprès des sages et des érudits royaux. Quant à Gaïlen, il semblait avoir découvert un exutoire à sa rage, à travers ses entraînements martiaux. Il devint rapidement le guerrier le plus compétent de Darcos, toutes armes confondues. Militaires, notables et pirates se disputèrent son talent, devant l’opportunité offerte par l’État provisoirement pacifié de Darcos. L’abandon des guerres de conquêtes territoriales, par Vanika et par Galion, imposait de nouveaux horizons de métier aux guerriers assujettis à leur épée. Une orientation politique que Vanika pouvait maintenir, étant donné la terreur que leurs ancêtres inspiraient aux barbares de l’île Écarlate.

Seulement, l’amertume de ses souvenirs, dans la tour de l’est, entraîna des conséquences préjudiciables à Gaïlen. La séduction de sa vengeance éveilla chez lui une récidive assassine. Par crainte du jugement de sa mère, le jeune homme prit la fuite dans les dédales souterrains du Yavork. La nouvelle de sa désertion se répandit comme un parfum de fortune à travers le royaume. Si certains se réjouissaient à la perspective de ne jamais revoir ce tueur notoire, plusieurs arpentaient déjà les dédales, dans l’intention d’épouser la cause de leur chef légitime. Vauriens des bas-fonds, brigands et partisans du militarisme se regroupèrent autour de Gaïlen qui, dès lors, entreprit d’usurper le trône de sa mère. Son influence s’étendit au point que le général de la milice darconienne lui-même, désireux de connaître la conquête des rois passés, offrit son épée à son service.

Parallèlement, les échecs diplomatiques de Vanika se multiplièrent, au même titre que les trahisons de ses sujets. Jamais le château de Darcos ne connut d’automne plus sombre qu’en cette année 813. Une année de doute et de peur, mais également de prières. Puis, l’hécatombe se produisit. Le vingt-septième jour du mois de Nandryll, le prince Gaïlen investit le château, à la tête de son armée. Il offrit aux darconiens la bataille la plus brève et la plus sanglante de leur histoire.

Sous l’ivresse de sa victoire, Gaïlen condamna sa mère et sa sœur au supplice du fouet, avant de les précipiter dans la basse-fosse du château. Là, dans la moiteur des ténèbres, elles pleurèrent les plaies de leur âme et de leur corps. Les formes de torture se succédèrent et achevèrent de tuer leur être tout entier. Jusqu’au soir où Gaïlen proclama leur sort ultime, celui qui devait confirmer son trône aux yeux de ses sujets. Un supplice à ciel ouvert, celui que le peuple de Darcos réservait d’ordinaire aux sorcières et aux traîtres.

Dès l’aube suivante, un bûcher de santal fut érigé sur la place de la ville. Jamais auparavant, dans tout le royaume, on n’avait vu de bûcher plus majestueux. Des offrandes de cannelle et de vanille embaumaient la place et invitaient le peuple au rassemblement. Les intentions de Gaïlen étaient claires et bien plus sordides que tous ses actes antérieurs. À ses yeux, il ne s’agissait plus que d’une simple exécution, mais bien d’un sacrifice destiné à s’attirer la bénédiction des dieux.

Les traits défigurés et la robe déchirée, Vanika et Enara furent traînées sur la place centrale. La boue les enveloppa de son linceul, tandis qu’un silence bruyant, troublant, faisait tressaillir la foule. Nul n’osa exprimer l’horreur ou la honte de sa vision. Nul ne broncha. Tous regardèrent, complices de ce meurtre inconcevable. Un homme fut désigné pour soutenir le corps, inerte, d’Enara. Un autre pour la ligoter. Or, au tout dernier moment, Gaïlen décida d’enchaîner sa mère au pied du bûcher, dans l’intention de lui offrir un châtiment qu’il savait pire que la mort. Celui de la vie. La vie dans la réclusion, avec comme seule compagnie les ténèbres et le souvenir de cet instant funeste.

À la vue des flammes naissantes, une plainte muette monta du tréfonds de Vanika. La lassitude avait volé sa voix ; la sienne et celle de sa fille. Aucune larme ne fut versée, hormis une seule : celle, immortelle, de l’amour. Dans la délivrance que connaissait son enfant, Vanika trouva la force de prier. Une larme et une prière, tels furent les vestiges de son humanité.

Et c’est dans ce dernier trait qu’une fois de plus, l’encre se tut. Rares connaissent l’épilogue de cette histoire et plus rares encore sont ceux à y ajouter foi. Toujours est-il qu’une mystérieuse libératrice délivra un jour Vanika de ses chaînes. Ce fut par la bonté de cette femme qu’elle trouva la force de se relever de ses épreuves. Une rencontre déterminante, dont elle viola l’ultime secret. De sa traîtrise, Vanika récolta une malédiction divine, scellée dans le sang de son peuple. La mort, une fois de plus, s’enfuit loin de sa présence. Pour l’éternité. C’est alors que Vanika reçut son nom nouveau, celui destiné à établir l’essence de sa divinité. Et c’est par ce nom que les darconiens d’aujourd’hui la connaissent et la craignent.


AN 1011
ÂGE DU FLAMBEAU
4e jour du mois de Gallarim

Les bras du trépas

La nuit s’annonçait froide dans le Grand Nord du Yavork. Plus froide que d’ordinaire. Quelques flocons de neige voltigeaient dans le vent capricieux et fuyaient sous la chaleur des torches du village de Darcos. Les flammes vives coloraient l’obscurité de flèches d’or et captaient les traits endeuillés des darconiens rassemblés sur la place publique. Une centaine seulement avait répondu à l’appel. Plusieurs s’étaient livrés à une importante expédition de chasse à l’ours blanc, autour des banquises de la Grande Mer. Une dizaine d’autres devaient revenir à l’aube, leurs bêtes de somme traînant derrière leurs sabots assez de bois pour tenir encore plusieurs semaines.

La saison des frimas devenait chaque année plus rigoureuse, et les darconiens reconnaissaient que, bientôt, il leur faudrait quitter le village afin de s’établir plus au sud. Une idée séduisante, réservée aux générations futures. Pour l’heure, la survie du clan demeurait leur priorité. Pour ce faire, ils pouvaient compter sur le bourg voisin, l’Urganòf. En échange du produit de leur chasse, les urganiens leur fournissaient tout ce dont la terre du Grand Nord se refusait à livrer. Un accord séculaire qui visait à garantir principalement la survie de Darcos.

En vérité, l’Urganòf pouvait se vanter d’être l’unique agglomération reconnue du Yavork, puisqu’elle était la seule, à cette date, à exercer des échanges commerciaux avec les contrées voisines. À dos de cheval, les darconiens prenaient un peu moins de deux jours pour atteindre le bourg. Une distance non négligeable, étant donné le froid et l’imprévisibilité des tempêtes. Néanmoins, chaque jour de troc se transformait en jour de fête, pour les négociants. Plusieurs y voyaient l’occasion de faire des rencontres ; d’autres, de dilapider leur argent dans des jeux de tables, à la taverne ou à la maison de joie au Safran Pourpre.

Leur réclusion justifiait probablement leur comportement, pour ne pas dire leur soif d’exotisme. Entre le village de Darcos et celui de l’Urganòf, le Yavork ne représentait rien d’autre qu’une peau laiteuse, dont le massif montagneux du Delfroast incarnait la racine dorsale. Pourtant, hormis ses sources souterraines, qui gorgeaient l’unique puits de Darcos, le Delfroast méritait sa part de mystères. Son versant escarpé se dressait comme un mur infranchissable, de l’orient à l’occident, de sorte que les cartographes s’obstinaient à définir le massif en tant que confins nord du Yavork. Un mensonge insoupçonné, dont le glas allait bientôt résonner dans l’écho du temps.
Soudain, une longue rafale souleva la neige du sol et poudra la muraille de glace qui ceinturait le village de Darcos. Les troncs d’épicéas, enlacés sous le froid limpide, pointaient à quelques endroits, fermes devant la saison tenace. Sans être impressionnante, la fortification s’avérait efficace contre le blizzard et les bêtes sauvages ; les seuls, mais impitoyables ennemis des darconiens. Plusieurs centaines de maisons en rondins se massaient à l’intérieur, à demi voilées sous l’aile blanche hivernale. L’absence d’humidité rendait les flocons de neige aussi légers qu’un duvet d’oie. Leur pureté captait la lumière des torches et nimbait le village entier d’une chaleur scintillante et mystérieuse.

Un flocon de neige se posa doucement sur les cils de Cyrane. La guerrière cligna des yeux et rajusta le col de son long manteau funèbre. Elle scruta le ciel, désireuse de s’évader un moment de la scène irréelle, en cours sur la place publique. Au-dessus du Delfroast, entre deux bras de nuages, une aurore boréale drapait le firmament d’opale et d’écarlate. Ce n’était pas le genre d’aurore auquel Cyrane était habituée. D’ordinaire, le phénomène se peignait de teintes plutôt froides, le plus souvent de vert et de violet. Or, le rouge qui dansait à ce moment dans le ciel la troubla de façon inhabituelle. L’aurore, emprisonnée dans les nuées livides, ressemblait à un torrent de sang.

Cyrane contempla le spectacle, incapable d’en détacher les yeux. La mort, un peu trop familière, semblait vouloir s’imposer dans le cœur des darconiens présents. Ou peut-être dans le sien, plus précisément. La guerrière soupira d’ironie, en songeant aux critiques qu’elle nourrissait envers les croyances superstitieuses de son clan. Malgré tout, elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer leurs dieux funestes, là-haut, jouissant du plaisir pervers de leur deuil.
Cyrane observa l’armée nuageuse reconquérir le territoire de l’aurore. L’obscurité s’imposa de nouveau et les flammes des torches rayonnèrent de plus belle. La guerrière plissa les paupières et se força à rester attentive à la scène dont elle était témoin. Au milieu des hommes, des femmes et des enfants, se dressait un bûcher funéraire, haut d’environ un mètre. Le jeune homme qui y était allongé reposait dans un linceul pourpre et sépia, les couleurs du clan. Il s’agissait du meilleur ami de Cyrane, Didrik, un chasseur émérite et un guerrier naguère prometteur. La présence de son arc, sur sa poitrine, témoignait d’ailleurs de sa valeur au sein de l’élite des chasseurs. Ses mains rigides étreignaient l’arme de jet avec une dignité que la mort ne pouvait lui ravir.

Cyrane acceptait difficilement qu’un homme aussi jeune et vigoureux que Didrik puisse périr d’une simple fièvre. Quelque chose avait certainement dû fausser la balance de la mort. La veille même, Erys, la guérisseuse du village, les avait assurés de son rétablissement. Et pourtant, elle ne se trompait jamais. Par la force des choses, les anciens présumèrent que la dernière expédition de chasse de Didrik lui avait attiré les foudres des dieux. Sa témérité l’avait sans doute conduit un peu trop loin dans la montagne, au-delà des limites permises. Le jeune homme avait dû découvrir un secret défendu aux mortels, et les archées, les déesses de la connaissance, l’avaient puni pour son insolence. Or, il ne s’agissait encore que de superstitions.

Le visage de Didrik, propre et rasé, s’enluminait par à-coup sous les lueurs dansantes des torches. Ses cheveux mordorés et bouclés chatoyaient comme si on les avait baignés dans l’or solaire. De loin, l’on pouvait croire qu’il dormait simplement. Pourtant, sous ses paupières diaphanes, ses yeux marron n’étaient plus que deux orbes opaques. Même son corps à la carrure massive semblait fragile au milieu du large bûcher.

Quelques villageois venaient déposer des objets personnels à ses pieds ; des flèches artisanales, des fleurs sculptées dans la glace ou le bois, des dents et des griffes d’animaux remémorant des chasses collectives. D’autres venaient lui toucher le front ou les mains. Les plus âgés courbaient le cou en marmonnant des prières destinées à leurs dieux funestes. Cyrane les observa du coin de l’œil, intriguée par leur foi aveugle envers ces êtres invisibles. Elle ne savait pas exactement combien de divinités habitaient dans le cœur de son peuple. Et elle s’en moquait. Elle n’avait foi qu’en une seule chose, soit que la mort était inéluctable. Au moins, en cela, nul ne pouvait la contredire.

Cyrane se redressa et croisa ses mains gantées derrière le dos. Le tour de Kytura, la cousine de Didrik, était arrivé. Lentement, la jeune fille retira le capuchon de son manteau en poils gris et s’avança vers le bûcher. Ses cheveux blonds, presque blancs, hurlèrent dans l’obscurité nocturne. Des mèches courtes tombaient de sa coiffure soignée et se fondaient avec la pâleur de son cou. Par contraste, la main de l’hiver avait peint ses joues d’un rose attendrissant.

La jeune fille se tourna vers Cyrane. Ses yeux bleus-violets luisaient d’une rare intensité. La guerrière absorba toute l’affliction contenue dans ce regard, et sa propre douleur en fut décuplée. Si sa mine ténébreuse, qu’elle portait naturellement, rendait l’interprétation de ses sentiments difficile, son cœur était bel et bien déchiré. À sa différence, Kytura n’avait aucun mal à exprimer sa douleur. Et c’est ce qui torturait le plus Cyrane. Car si elle possédait la force de maîtriser ses propres émotions, elle avait énormément de mal à voir son amie souffrir.

Depuis leur enfance, Didrik, Kytura et elle-même avaient grandi dans une sorte de trio fraternel, dont bien des gens du village prenaient ombrage. Quelque chose d’unique les unissait. Ou plutôt les avaient unis. Peut-être était-ce en partie dû au fait que l’amitié sincère représentait un sentiment rare au sein des darconiens. La quête du pouvoir et de l’individualisme dépassait de loin l’idéal d’une relation intime, amicale ou amoureuse. Traditionnellement, les élans de cœur découlaient d’un naturel faible. Seules quelques personnes d’exception étaient parvenues à se défaire de ces préjugés ancrés dans les esprits. Kytura et Didrik en faisaient partie, de même que Cyrane et son père, Ulrick, le chef du clan. Ce dernier était d’ailleurs l’instigateur de cette recherche d’unification clanique. Mais ses adeptes représentaient un nombre trop mince qui ne présageait rien de bon pour l’avenir des darconiens.

Kytura retourna le sourire fragile de Cyrane. D’un geste mûri, elle déboutonna le haut de son manteau et tâtonna dans sa poche intérieure. Elle ressortit son poing fermé et le plaqua contre sa poitrine. Cyrane eut un mouvement de curiosité. Mais Kytura préserva jalousement son bien de la vue des indiscrets. La jeune fille resta immobile un moment, comme paralysée par le corps inerte de son cousin. À grand renfort de courage, elle se pencha sur le jeune homme et lui murmura à l’oreille. Une fois ses adieux terminés, elle passa ses doigts dans ses cheveux et déposa habilement son secret sous sa nuque, avant de recouvrir son visage du linceul.

Cyrane cilla, prise au dépourvu. Si la trempe inhabituelle de son amie la surprenait, son dernier geste l’étonnait davantage. Kytura savait très bien qu’elle n’avait pas encore eu la chance de se recueillir sur la dépouille de Didrik. Et pourtant, en recouvrant son visage du linceul, elle venait d’annoncer la fin du rituel d’adieu. Cyrane préféra néanmoins se taire, de peur de déclencher une scène inutile. Elle regarda Kytura retourner à sa place, aux côtés d’Ulrick, comme le demandait la tradition. Le regard de la jeune fille restait rivé au sol, empreint d’une sorte d’égarement qui ne lui ressemblait pas.

Cyrane remarqua que son père la questionnait du regard, mais elle lui fit signe de poursuivre la cérémonie. Elle croisa ses bras sur sa poitrine, tandis qu’Ulrick entamait l’oraison traditionnelle. Tous semblaient s’imprégner de ses mots solennels destinés au dieu des morts, Volgrim, et à Aryghnaïs, la déesse du sang et de la vengeance.
Cyrane en profita pour examiner les visages, plus ou moins familiers, qui l’entouraient. Sous les sourcils anguleux des hommes, les pupilles luisaient d’un détachement teinté d’un rare chagrin. La plupart devaient songer à leurs trophées de chasse ou à la nuit qu’ils s’apprêtaient à passer en compagnie de leur femme. Cyrane ne les blâmait pas. Au contraire. La survie de son clan au sein de la contrée hostile impliquait de nombreux sacrifices, ce qui rendait la mort presque routinière à leurs yeux. Elle-même, malgré toute l’affection qu’elle portait à Didrik, avait du mal à rester attentive à la voix de son père. Demain, oui. Demain, elle verserait sans doute quelques larmes… Il était encore trop tôt, tout simplement.

Cyrane coula son regard de l’autre côté du bûcher et s’arrêta sur un visage en particulier. Ryne, l’une des artisanes du village. Ses cheveux courts, plus noirs que l’encre, s’échappaient de son capuchon en mèches désordonnées. Les yeux vert sombre de la jeune fille donnaient l’impression qu’ils renfermaient un secret redoutable. L’artisane se détachait rarement de son air grave, comme si le moindre sourire risquait de trahir sa vraie nature. Une nature longtemps discutée et qui, encore aujourd’hui, lui attirait les médisances des commères. Dix-neuf ans plus tôt, ses parents adoptifs l’avaient découvert sur le seuil de leur demeure, alors qu’elle n’avait pas encore deux jours. L’incertitude de ses origines darconiennes expliquait sans doute le désintérêt de la jeune fille envers l’ensemble du clan.

Casanière, célibataire, sans amis et depuis peu orpheline, Ryne s’adonnait corps et âme à son talent naturel pour le travail du cuir. Manteaux, ceintures, gaines de toutes sortes, selles et harnais de chevaux ; elle accomplissait tout sur mesure, une minutie que dédaignaient les autres artisans, mais qu’ils lui enviaient secrètement. Elle était d’ailleurs la plus jeune du village à diriger son propre atelier. Alors que les autres apprentis dépendaient toujours de l’enseignement de leur maître, Ryne s’était débrouillée pour n’apprendre que de son talent et non de celui des autres.

Cyrane remarqua qu’elle portait un manteau neuf ; un long manteau de cuir brun, paré d’un foulard pourpre. À sa taille, un ceinturon décoré de divers couteaux pendait avec élégance. Des couteaux pour amincir et travailler le cuir, sans aucun doute. Encore une invention digne de son talent… Cyrane se raidit lorsque Ryne plongea son regard dans le sien. Au même instant, un coup de coude dans son estomac la fit sursauter. Anovis, sa mère, l’avait rejoint pour l’arracher à sa rêverie.

— Tu as l’esprit ailleurs, ma fille.

La guerrière se renfrogna. La manie de sa mère à formuler des évidences l’agaçait sérieusement.

— Mon esprit est libre, contrairement au vôtre. Excusez-moi. Je vais voir Kytura.

Devant la mine contrariée de sa mère, Cyrane s’éloigna avec satisfaction. Elle contourna le cercle formé par les siens et se faufila aux côtés de Kytura. La jeune fille la regarda d’un air triste et posa sa tête sur son épaule. Ulrick venait de terminer l’oraison funèbre et couchait sa torche au milieu des écorces et des pommes de pins amassés sur le bûcher. Un bruit de craquements s’éleva vers le firmament. Bientôt, une fumée odorante et des étincelles rougeoyantes se marièrent aux flocons de neige. Le bûcher s’enflamma lentement, comme si les flammes dégustaient le bois d’épicéas jusque dans ses moindres grains.

Une fois repu, le feu s’intensifia, de telle sorte que la place du village en fut entièrement dévoilée. Le corps de Didrik apparaissait par courts intervalles derrière le mur de flammes. Quelques anciens, fidèles à leurs superstitions, mimaient les gestes destinés à guider l’âme du jeune homme vers le royaume de l’Immuable, le souverain du ciel. Malgré son incrédulité, Cyrane espérait sincèrement que son ami connaisse une vie paisible dans l’au-delà. Kytura et lui accumulaient les épreuves depuis leur venue au monde. À croire que le destin s’acharnait sur eux. Peut-être que c’était justement ses épreuves qui avaient rendu Didrik plus distant, au fil des années. Elle n’avait aucun moyen de le savoir. Kytura restait discrète vis-à-vis de l’attitude de son cousin. Et elle-même n’était pas du genre à creuser dans la vie intime des autres. Après tout, peut-être qu’elle se faisait des idées. Didrik avait bien le droit de clamer son indépendance ! Qu’ils aient été proches ou non, tout le monde avait le droit de préserver ses secrets.

Cyrane inspira à pleins poumons et vit que quelques villageois se dispersaient déjà, sans doute pour reprendre leurs activités nocturnes. La guerrière haussa les épaules et tourna la tête vers Kytura. Son amie semblait beaucoup plus détendue qu’elle ne le présageait. Elle contemplait les langues de feu, dans un silence méditatif. Ses traits se découpaient dans la nuit avec une violente douceur.

« Ce n’est pas ta faute, tu sais. »

Kytura tressaillit au son de la voix de son amie. Elle la regarda, esquissa un sourire hésitant, puis reporta son attention sur les flammes.

« Tu n’étais pas là, ajouta Cyrane. C’est… c’est comme ça. Didrik a commis une erreur et il en a souffert, c’est vrai, mais tu ne pouvais rien y changer. »

Elle se mordit la lèvre, en voyant Kytura hocher la tête d’un air coupable. À l’évidence, elle n’était pas très douée en termes de réconfort.

— Je ne comprends pas ce qui s’est passé, admit la jeune fille, d’une voix tremblante. Tout allait bien et soudain… il… il…

Kytura fondit en larmes. Elle enfouit son visage dans ses mains, les épaules secouées de profonds sanglots. Cyrane resta un moment sans réaction, un peu surprise par ce changement brusque d’humeur. Son amie hoquetait des mots difficiles à interpréter. Des mots que Cyrane comprit intuitivement. Son cœur se serra et elle attira la jeune fille dans ses bras.

— Tu n’es pas seule, murmura-t-elle. Je vais veiller sur toi. Tout ira bien, tu verras.

Kytura sanglota de plus belle. Ses doigts se refermèrent sur le manteau de la guerrière.

— Cyrane !

— Chut…

Cyrane lui caressa doucement la nuque. Elle haïssait la mort. Elle haïssait le chagrin de son amie et les regards des darconiens posés sur elles. Si elle l’avait pu, elle aurait dégainé ses dagues et lutté contre Volgrim lui-même pour rétablir l’ordre des choses. Mais elle n’était qu’humaine. Et les dieux, s’ils existaient, ne se souciaient apparemment que de leurs propres intérêts.

Cyrane leva les yeux au ciel et jura entre ses dents. Comme en réponse à cette accusation divine, les chiens-loups hurlèrent à la mort. Un cri de femme leur fit écho ; un cri de terreur indescriptible. Sur l’épaule de la guerrière, les sanglots de Kytura s’estompèrent brusquement. Cyrane regarda son père, Ulrick. Le visage de celui-ci pâlissait d’épouvante. Partout autour d’elle, les mains des hommes et des femmes se posaient sur la poignée de leurs armes.

Soudain, Cyrane comprit l’origine de tout cet émoi. Parmi les flammes dévorantes, au-dessus du corps consumé de Didrik, une silhouette haute et vaporeuse enveloppait le bûcher de ses bras ténébreux.






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